
Quand la haine devient un héritage, chaque battement de cœur a le goût du sang. Et tôt ou tard, le sang réclame son dû.
Dans un XVIᵉ siècle ravagé par la peur, une jeune chasseuse arpente les forêts à la recherche des bêtes qui déchirent les villages.
Mais à mesure que le sang coule, les certitudes vacillent : et si les monstres n’étaient pas toujours ceux que l’on croit ?
Entre instincts et malédictions, lumière et ténèbres, Sanglantes Origines dévoile le destin d’une âme en lutte contre la part sauvage du monde…
et peut-être contre la sienne.

Le pauvre homme avait été paralysé, figé par l’horreur. Seule la Mort elle-même arborait ce visage. Son heure était venue, il n’en avait plus douté. La peur avait étreint ses entrailles, son souffle avait été bloqué dans sa gorge. Le miracle était pourtant survenu, lorsque les hurlements lointains des loups avaient retenti. Surpris, affolé, sur le qui-vive, il avait tourné la tête en direction des cris. Quand il avait à nouveau porté son regard sur le chemin, la chose avait disparu.
Tel un cerf traqué par une meute enragée, il avait repris sa course effrénée. Les branches et les ronces lacéraient sa chair, mais il n’en avait cure. Il avançait, sans réfléchir, mû par un instinct de survie primal. Ainsi, il était enfin parvenu jusqu’au village, soulagé de retrouver la civilisation.
Lorsque la guérisseuse avait découvert la plaie, elle n’avait pu retenir des mots d’effroi. Il s’agissait là d’une profonde morsure, qui avait arraché un bon lambeau de peau. À la forme, il ne faisait aucun doute que la mâchoire qui l’avait infligée était humaine. Ce n’était surtout pas la première fois qu’elle voyait ce genre de marque. Il était donc revenu… après toutes ces années.
Dans la taverne, des murmures s’étaient élevés et avaient enflé : il s’en prendrait à nouveau aux villageois, c’était certain. Cet homme avait eu de la chance, mais le prochain n’en aurait sans doute pas autant. Il fallait agir et vite. Tous avaient fini par en conclure qu’ils s’entretiendraient avec Piotr au lever du jour.
Alexeï avait écouté d’une oreille distraite ces bavardages. Tant que personne ne sollicitait son aide, il ne désirait pas s’en mêler. Ces histoires ne l’intéressaient pas, d’ailleurs, il ne se croyait concerné par rien. Il avait donc achevé son travail, accepté la compensation que lui avait offerte la vieille dame, et était retourné à ses occupations en oubliant cette anecdote.
Pourtant, maintenant que ses cousins étaient venus lui parler d’une mystérieuse fille et de la chasse de cette créature enragée, il avait envie d’en savoir plus.
Une fois habillé, il se rendit en direction de la maison de son oncle.
Dès qu’il fut sur place, il frappa sur la porte en bois. Piotr lui ouvrit, les yeux cernés, l’air inquiet.
— Te voilà. Les garçons nous ont prévenus de ton arrivée. Entre.
Il pénétra dans le logis, puis scruta la pièce à la recherche de l’énigmatique inconnue. Il aperçut, recroquevillée sur elle-même dans le grand lit, une jeune fille qui ne devait pas être âgée de plus de dix ou douze ans. Sa longue chevelure rousse était emmêlée autour de son visage pâle et couvert de boue. Les larmes, qui semblaient avoir coulé en abondance, avaient laissé de fines traînées, qui révélaient une peau blanche et laiteuse sous la crasse qui la maculait.
Elle leva vers lui ses yeux d’un vert aussi pur que celui des premières feuilles de printemps. Le désarroi qu’il y lut l’ébranla, fissura légèrement sa carapace. Une sensation étrange naquit en lui, un besoin irrépressible. Il ne savait pas qui elle était ni pourquoi elle était là. Sans qu’il ne puisse l’expliquer, il avait envie de la protéger, de prendre soin d’elle. Il n’eut pas le temps de laisser sa raison prendre le pas sur ce sentiment inédit. La voix douce de sa tante le tira de sa contemplation :
— Cette enfant vient d’arriver dans notre maison. Tout comme toi, elle est orpheline et seule au monde. Nous lui avons offert de demeurer parmi nous et d’intégrer notre famille. Alexeï, je te présente ta nouvelle cousine : Anastasia.