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Extrait L’Edegia – Magali Guyot

Laura porte ses cicatrices comme un fardeau.
Dans l’ombre feutrée de l’Edegia, un club où tout se cache derrière les masques, elle s’offre une échappée faite de désir et de liberté.
Mais sous les jeux de l’anonymat, chaque pas devient plus dangereux : jusqu’où osera-t-elle aller pour reprendre possession de son corps ?

Une romance intense, comme chaque femme devrait en vivre au moins une fois.

banderole collection désir

D’un doigt, il lui releva le menton et de l’autre main, il désigna le monde devant eux. Il souhaitait qu’elle regarde. Sans qu’il ait besoin de s’exprimer, elle comprit la démarche. Les corpulences étaient aussi diverses que les âges qu’elle devinait. Les personnes devant elle n’avaient rien de parfait ou tout du moins la vision que la société en souhaitait, et elles s’en foutaient, visiblement. Elle se tourna de nouveau vers ce compagnon étrange, douta une nouvelle fois qu’il s’agisse de Pacat. Mais non. Rien ne collait. Comment avait-il su de quelle façon la rassurer ? Faisait-il partie des employés de l’Edegia chargés de repérer et guider les petits nouveaux ? Peut-être. Elle prit le parti de se détendre et imita la posture de son voisin. Il était calme, attentif, les jambes croisées. Tenterait-il une approche au cours de la soirée ou se contenterait-il de profiter du spectacle avant de se faire plaisir lui-même comme un autre homme en face. Elle écarta cette hypothèse et profita de cette simple présence. Ainsi, elle ne ressemblait pas à la pauvre fille délaissée dans un coin que personne n’invite à danser. Elle renvoyait l’impression qu’elle n’attendait rien parce que déjà prise. Au fur et à mesure des minutes, son stress s’évapora et la pression de ses bras autour de son propre torse perdit en force. Captivée par le lâcher-prise ambiant, elle sentait ses propres sens réagir. De quand dataient ses dernières relations charnelles ? Le simple fait de se le demander était mauvais signe. Guillaume lui revint à l’esprit. La séparation datait de plus de huit mois et, bien avant ça, elle ne supportait plus d’être touchée. La fatigue et sa propre image malade avaient anéanti de façon logique sa libido. Il avait bien assez tenté de la culpabiliser pour ça. Et, en réponse instinctive à ce souvenir, elle resserra de nouveau ses bras. Trois pas en arrière, deux en avant, un en arrière. Jamais elle n’en finirait cette danse tortueuse.

Relève les yeux, se martela-t-elle. Vois ces gens profiter sans se poser de questions. Pas de honte, pas de gêne, pas de traumatisme qui entache leur besoin de contact.

Une femme au loin portait la marque d’une ancienne césarienne. Un homme sur la droite arborait une brûlure impressionnante dans le dos. Des formes aussi larges que fines déambulaient sans attirer les regards autres que ceux intéressés. Ce lieu était à part, dans une bulle hors de la société de l’apparence et des faux-semblants. Les visages ne pouvaient renvoyer hypocrisie, dégoût ou moqueries. Ils n’existaient pas. Bienvenue à l’Edegia. Elle s’enfonça davantage dans le moelleux de son assise et reposa sa nuque, fatiguée de lutter avec ses questionnements. Des effluves divers imprégnaient l’atmosphère. Au milieu, son odeur à lui, tout près. Sans horloge, sans portable, elle ne réalisa pas le temps passé à naviguer entre les scènes orgiaques et la sérénité apaisante de son voisin. Regardait-il au même endroit qu’elle ou attendait-il un geste ? Elle ne le sut pas ce soir. Les créatures sans visages se séparèrent, repues, et regagnèrent la sortie après un passage sous les douches. Au moment de la fermeture, ils n’étaient plus que deux. Il tendit de nouveau sa main, lui extirpa sa carte de visite et griffonna un message. « Chaque chose en son temps. À vendredi, peut-être. » En dehors de l’Edegia, il faisait froid. Froid dans sa tête. Froid au creux de ses reins.  Elle gagna son lit, consciente de ne pas s’être couchée aussi tard depuis bien longtemps ou bien aussi tôt le matin. Le réveil serait difficile. Malgré tous ses efforts pour trouver le sommeil, les images charnelles des corps qui s’entrechoquaient, animés par leurs délires sensuels, envahirent ses pensées. Elle ne culpabilisait pas de cette visite. Là-bas, elle s’était promenée, anonyme, ni malade ni libraire ni politisée. Elle n’était qu’une femme dans sa version la plus simple dans un environnement aux instincts les plus basiques. Pas d’affrontement à l’Edegia et aucun idéal qui ne survit dès les premiers effeuillages. Elle n’avait rien eu à prouver ou à justifier pendant cette courte visite qu’elle trouva soudain trop courte.